Pas encore parti, je pense déjà au retour. Un peu comme si le nouveau né avait spontanément conscience de sa propre mort à venir. C'est détestable. Cette simple idée de revenir, de mourir un peu, ne me plait pas. Mais alors vraiment pas.
Pourtant, j'ai souvent ressenti par le passé, avec plaisir, cette sensation de retrouver ma ville, mes rues, mon quartier après des vacances d'une ou plusieurs semaines. Bien réelle, cette sensation était liée je crois à la simple joie de redécouvrir d'un œil neuf mon cadre de vie habituel, de pouvoir revoir les êtres aimés, leur raconter quelques anecdotes, échanger, écouter leurs réactions et leurs propres évènements, une poignée de photos ou vidéos prises avec quelques smartphones colorés, plusieurs objets, un vêtement acheté, des souvenirs cachés... Simples satisfactions personnelles en fait. Et puis la routine se réinstalle, fatalement, durablement...
Telle est notre condition d'humain sédentaire : nous partons toujours pour revenir. Si cela n'était pas, nous serions nomades, sans port d'attache, sans base économique, sans territoire délimité, chaque départ serait alors définitif.
Mais nous revenons.
Nos ancêtres eux, ceux des lointaines périodes historiques ne revenaient pas. Ils partaient toujours plus loin. L'agriculture ne les avait pas encore fixés à un morceau de terre, un territoire, un pays, une nation. Peut-être aimons-nous retrouver aujourd'hui, dans nos départs successifs, le vague parfum d'un mode de vie passé. Mais cela n'est plus que loisir, divertissement, au sens où Pascal définissait le divertissement, c'est à dire un palliatif à notre immobilisme et aux maux quotidiens de nos vies.
Je suis souvent parti pour revenir. Je le ferai encore, certainement, car comment vivre sans découvrir ? Mais l'idée de partir réellement pour ne plus revenir c'est autre chose, c'est bien plus fort. Partir pour vivre ailleurs. Changer tout. Vivre autrement. Parler autrement. Penser autrement. Voir et entendre différemment.
Malheureusement, le départ définitif est parfois contraint, pour des raisons de survie (misère, famine, guerre, dictature, pauvreté...). Le déracinement est alors douloureux et traumatisant. Il n'en est pas moins porteur d'espérance. Alors, lorsque l'expatriation est souhaitée, elle devient, contrairement à la mort qui marquera la fin absolue de chacun d'entre-nous, une fin relative ouvrant la porte vers une vie différente.
"Ne plus revenir" comme point de départ.
Julian Stuart
"Ne plus revenir" comme point de départ.
Julian Stuart